Quand les industriels nous enfument
C’est au début des années cinquante que l’industrie cigarettière se réunit pour mettre au point une campagne de relations publiques en réaction aux accusations dont elle fait alors l’objet. Son objectif : créer le doute dans l’esprit du public. Comment? En investissant massivement dans la recherche scientifique.
« On va pas argumenter contre la science […]. On va plutôt récupérer la science à notre profit, […] on va réutiliser les instruments et les valeurs de la science contre elle. C’est ça le début de cette aventure de production industrielle d’ignorance. C’est ça qui commence véritablement en 1953, à New York, à l’Hôtel Plazza, avec ces grands capitaines d’industrie cigarettière américaine. » Stéphane Foucart.
Dans les années 1960, un mémo interne détaille non sans cynisme la stratégie créée par l’industrie du tabac :
« Le doute c’est notre produit car c’est le meilleur moyen de nous opposer à l’ « ensemble des faits » qui existent dans l’esprit du grand public. C’est aussi le moyen d’établir une controverse. En tant que professionnels, nous considérons qu’il existe une controverse. Toutefois, au sein du public, le consensus est que les cigarettes sont, d’une manière ou d’une autre, mauvaises pour la santé. Si nous réussissons à établir une controverse au niveau du public, il y a alors la possibilité de communiquer les faits réels sur la fumée et la santé. Le doute est aussi la limite de notre « produit ». Malheureusement, nous ne pouvons pas adopter une position catégoriquement contraire aux forces anti-cigarettes et dire que les cigarettes contribuent à une bonne santé. Aucune information en notre possession ne corrobore une telle affirmation. »1
Une stratégie du doute dont les historiens des sciences Naomi Oreskes et Erik Conway ont montré qu’elle s’étendrait ensuite aux enjeux écologiques, parmi lesquels : le trou dans le couche d’ozone, les pluies acides ou encore le réchauffement climatique.2
Avec :
Stéphane Foucart, journaliste scientifique au journal « Le Monde »
Dominique Pestre, directeur d’études à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales
Pascal Diethelm, cadre à l’Organisation Mondiale de la Santé, lanceur d’alertes dans le domaine du tabac
Yves Martinet, pneumologue, professeur émérite, université de Lorraine, président du CNCT (Comité National Contre le Tabagisme).
Estelle Colas, «fille Distilbène»
Emmanuelle Fillion, sociologue à l’Ecole des hautes études en santé publique
Didier Torny, sociologue, directeur de recherche CNRS
Un documentaire de Franck Cuveillier, réalisé par Rafik Zénine
Bibliographie
Science et territoires de l’ignorance, Mathias Girel (Editions Quae)
Un peu de science ça ne peut pas faire de mal, Jacques Treiner (Editions Cassini)
La fabrique du mensonge, Stéphane Foucart (Editions Denoël)
A contre science, Dominique Pestre (Editions du Seuil)
L’équipe
Production
Perrine Kervran
Production déléguée
Franck Cuveillier
Réalisation
Rafik Zenine
Avec la collaboration de
Maryvonne Abolivier, Mathias Mégy, Annelise Signoret
Naomi Oreskes, Erik M. Conway, Les marchands de doute, Editions Le Pommier, Paris, 2012.