© Woźniak, dessin paru dans « Le Canard enchaîné », 13 décembre 2023.
© Woźniak, dessin paru dans « Le Canard enchaîné », 13 décembre 2023.

La faiblesse des engagements de la COP28 implique la poursuite du réchauffement au-delà de 1,5°C

Les climatologues Valérie Masson-Delmotte et Sonia Seneviratne estiment, dans une tribune au « Monde », que nous sommes encore très loin du « plan d’action solide » annoncé par le président de la Conférence des parties pour maintenir « à portée de main » l’objectif de l’accord de Paris.
© Woźniak, dessin paru dans « Le Canard enchaîné », 13 décembre 2023.
© Woźniak, dessin paru dans « Le Canard enchaîné », 13 décembre 2023.

En clôturant la 28e Conférence des parties (COP) à Dubaï le 13 décembre, son président, Sultan Al-Jaber, s’est félicité d’« un plan d’action solide pour maintenir l’objectif [de limitation du réchauffement climatique] de 1,5 °C à portée de main », ajoutant qu’il s’appuyait « sur la science ». Mais cet optimisme affiché est-il vraiment cohérent avec le contenu des décisions finales et leurs implications ?

Accueillie par un pays [les Emirats arabes unis] classé au sixième rang des exportateurs mondiaux de pétrole brut, cette COP a mis en lumière les conflits d’intérêts associés aux énergies fossiles et leur rôle déterminant sur le réchauffement planétaire : elles sont responsables de 90 % des émissions mondiales de CO2 et d’un tiers de celles de méthane.

« [… ] le décalage entre l’objectif affiché de « maintenir l’objectif de 1,5 °C à portée de main » et la faiblesse des engagements concrets mis sur la table témoigne d’une incohérence majeure. »

Le bilan mondial [le Global Stocktake qui établit les avancées accomplies depuis de l’accord de Paris] établi à Dubaï souligne la gravité de la situation. Le rythme du réchauffement dû à l’influence humaine s’est intensifié au cours de la dernière décennie – l’année 2023 a été la plus chaude jamais enregistrée – et ce alors que les émissions mondiales de gaz à effet de serre continuent de croître. Au vu des éléments scientifiques et des rapports du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), il faudrait une très forte baisse des émissions de gaz à effet de serre entre 2019 et 2030 (- 43 %) et des émissions mondiales de CO2 réduites à zéro vers 2050 pour limiter le réchauffement à près de 1,5 °C.

Face à ces réalités, le décalage entre l’objectif affiché de « maintenir l’objectif de 1,5 °C à portée de main » et la faiblesse des engagements concrets mis sur la table témoigne d’une incohérence majeure. Les engagements des différents pays pris avant la COP permettraient, d’ici à 2030, une timide diminution des émissions mondiales de gaz à effet de serre, de l’ordre de 2 à 5 %, nous menant à la fin du siècle à un réchauffement global estimé de 2,1 °C à 2,8 °C.

La mise en œuvre des engagements additionnels de la COP28 que sont le triplement des énergies renouvelables et le doublement du rythme d’amélioration de l’efficacité énergétique pourraient encore davantage réduire les émissions mondiales, de l’ordre de 10 %, d’ici à 2030, rendant possible de limiter le réchauffement sous 2 °C, mais loin de 1,5 °C. Nous sommes encore très loin du « plan d’action solide » annoncé par le président de la COP28.

Des conséquences immédiates

Si ce bilan mondial aborde enfin, pour la première fois explicitement, la « transition vers l’abandon » des énergies fossiles dans une logique indispensable d’équité et de justice, il ne formule aucun objectif chiffré à l’horizon 2030, ni pour les émissions de CO2 ni pour celles de méthane.

Au contraire, le texte comporte plusieurs failles : il ne définit pas précisément les termes « bas carbone » et « abattement », promeut les combustibles (fossiles) « de transition » sans référence à leur effet net sur les émissions, et met sur le même plan la capture et le stockage de carbone d’un côté et l’élimination du CO2 atmosphérique de l’autre, sans mention de leurs limites, coûts et risques.

La faiblesse de ces engagements implique la poursuite du réchauffement planétaire au-delà de 1,5 °C d’ici une décennie, avec des conséquences immédiates, à l’instar de l’intensification d’évènements extrêmes et la dégradation d’écosystèmes, et de long terme comme les dégâts engendrés par une montée accélérée du niveau de la mer. Or le texte final de la COP28 passe sous silence ces implications de long terme. Les enjeux de préservation des écosystèmes et de la biodiversité sont explicitement mentionnés, mais sans référence aux impacts attendus à mesure de chaque incrément de réchauffement à venir.

En outre, d’autres aspects sont clairement insuffisants. Alors que le système alimentaire représente près de 30 % des émissions de gaz à effet de serre, ce premier bilan mondial ne l’aborde que sous l’angle de l’adaptation. Le texte final introduit le terme vague de production agricole « régénérative », sans définition.

De même, si le nouveau cadre pour la résilience adopté à Dubaï fixe à première vue des objectifs ambitieux pour les stratégies nationales d’adaptation d’ici à 2030, sa mise en œuvre dépendra des financements à venir. Le réchauffement induit par la poursuite des émissions de gaz à effet de serre entraînera des besoins lourds d’adaptation, et des risques croissants de pertes et dommages.

Greenwashing

Le fonds sur les pertes et les préjudices mis en œuvre pour y faire face, qui répond à une attente de long terme des pays les plus vulnérables, n’est abondé qu’à hauteur d’environ 700 millions de dollars (629,48 millions d’euros), soit le salaire des trois footballeurs les mieux payés au monde. Or les coûts anticipés en 2030 dépassent largement 100 milliards de dollars par an. Les Etats-Unis, premiers responsables du réchauffement climatique à ce jour, n’ont promis que 17,5 millions de dollars.

La COP28 n’a toujours pas abouti à un accord sur les règles de l’accord de Paris encadrant les échanges de « crédits carbone ». Rappelons que ces échanges permettent à des pays comme la Suisse, Singapour ou les Emirats arabes unis de bénéficier de la réduction des émissions dans d’autres pays par le biais d’accords bilatéraux. Des entreprises désireuses d’améliorer leur image peuvent par ailleurs toujours acheter des crédits carbone plutôt que de réduire effectivement les émissions de leurs activités.

Il serait pertinent de remplacer ces approches, qui posent des problèmes de crédibilité et de greenwashing [une stratégie de communication qui utilise des arguments écologiques trompeurs] par de nouveaux mécanismes plus explicites et responsables, associant à chaque tonne de gaz à effet de serre émise un financement des pertes et dommages.

En 1990, le GIEC avait mis en œuvre un groupe de travail sur les méthodologies d’inventaire des émissions. Aujourd’hui, il est nécessaire d’en créer un nouveau sur les méthodologies de suivi de leurs impacts, et sur l’évaluation de l’efficacité de l’adaptation et du coût des pertes et dommages dans tous les pays. Les deux prochaines années seront décisives. Chaque pays devra décrire d’ici à
2025 les actions qu’il prévoit de mettre en œuvre jusqu’en 2035 dans le cadre des « contributions déterminées au niveau national ».

Pour que les engagements pris à la COP28 deviennent tangibles, il est essentiel que ces révisions soient précises quant aux objectifs chiffrés de production et de consommation de pétrole, charbon et gaz pour chaque pays, et au recours aux technologies de capture et stockage. Il reste donc beaucoup à faire pour parvenir à un « plan d’action solide, sous l’égide de la science » d’ici à 2030.

 

A propos des autrices :

Valérie Masson-Delmotte est paléoclimatologue, directrice de recherche au laboratoire des sciences du climat et de l’environnement au Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives et à l’Institut Pierre Simon Laplace, à Paris Saclay. Elle a coprésidé le groupe 1 du GIEC de 2015 à 2023.

Sonia Seneviratne est climatologue, professeure à l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich, à l’Institut des sciences atmosphériques et climatiques. Elle est vice-présidente du groupe 1 du GIEC pour la période 2023-2030.