« C’est pour la sauvegarde de la vie elle-même que nous devons maintenant lutter. »

En 1989, lors de l’Assemblée générale des Nations unies, la première ministre britannique Margaret Thatcher prononce un discours resté célèbre sur l’état de l’« environnement mondial ». Elle y fait état d’une situation planétaire alarmante appelant une réponse rapide et efficace. Et pour cause, sa description de l’impact des activités humaines sur la planète occupe près de la moitié de sa prise de parole.

Ce discours est aujourd’hui intéressant à relire à plus d’un titre. D’abord parce qu’il atteste de l’ancienneté des préoccupations écologiques au plus haut niveau – national et international. En effet, comme le remarque la pourtant très libérale et réactionnaire Margaret Thatcher, « C’est la perspective d’endommager de façon irréversible l’atmosphère, les océans, la Terre elle-même » qui est jeu. C’est donc un discours à lire à la lumière des décennies de négociations qui vont suivre…

Ensuite, parce qu’il témoigne de la tension, déjà opérante au sein du régime climatique, entre poursuite des activités économiques dans le cadre du marché, d’une part, et préservation du vivant, d’autre part – au point de laisser transparaître certaines failles du sacro-saint dogme de la croissance ! Des lacunes toutefois bien vite oubliées. Le marché et la croissance restent le modèle de référence – logique puisqu’« il n’y a pas d’alternative » – et celle-ci devra donc apporter des solutions là où elle a causé des dégâts. En cela, les propos de Margaret Thatcher préfigurent les futures notions de « développement durable » et de « croissance verte », épouvantails destinés à faire taire les critiques un peu trop appuyées de la croissance.

Et c’est cet étrange mélange des genres qui permet à la « Dame de fer » de soutenir que « C’est pour la sauvegarde de la vie elle-même que nous devons maintenant lutter », allant jusqu’à faire un parallèle avec l’effondrement de sociétés anciennes (Mésopotamie, île de Pâques) , tout en réaffirmant par ailleurs le dogme : les économies « doivent continuer à grandir et se développer ». Alors oui, cela doit se faire dans le cadre d’une croissance saine , « qui ne pille pas la planète aujourd’hui et laisse à nos enfants le soin de régler ses conséquences demain ». Mais rien n’est dit sur les modalités que doit prendre cette nouvelle croissance, sinon qu’elle doit financer les dégât qu’elle engendre… Bien que reconnaissant le rôle prépondérant que doit jouer la science qu’elle peut apporter dans la connaissance des enjeux environnement : c’est à l’industrie et au marché d’apporter les réponses nécessaires. En effet, s’il n’y pas d’alternative, alors mieux vaut avoir une confiance aveugle dans les mécanismes du marché pour répondre aux dérèglements planétaires provoqués par les activités humaines.

Enfin, parce que c’est au travers de ce grand écart intellectuel opéré par les partisans du néolibéralisme que l’on peut relire les négociations environnementales internationales depuis les années 1980 jusqu’à aujourd’hui. Les paroles prononcées par Margaret Thatcher à la tribune des Nations Unies présagent en effet l’approche qui sera être choisie au niveau international et annoncent ce faisant la diplomatie climatique à venir. Malgré le niveau élevé d’attentes suscité par le Sommet de la Terre de Rio, trois ans plus tard, le marché – au travers d’instruments comme l’échange de crédit carbone –, la croissance et la technologie seront les mécanismes imposés par la diplomatie pour répondre aux défis écologiques.

Avec quel résultat : la planète dépasse aujourd’hui les 420 ppm de CO2 dans l’atmosphère1 ; la biosphère fait face à la sixième grande extinction2 ; la perspective d’un effondrement global annoncée dans le rapport Meadows3 est à nouveau agitée par la communauté scientifique4 ; et le fossé riches-pauvres structure globalement les émissions de CO2 générées par les activités humaines – les 10% les plus riches étant responsables de 50 % des émissions, ces mêmes 10 % qui devraient changer de manière radicale leur mode de vie et qui, aujourd’hui, pèsent de tout leur poids dans les processus décisionnels nationaux et internationaux pour préserver le statut quo.

Nous reproduisons ci-après le discours dans son intégralité.

 

« C'est avec grand plaisir que je reviens à la tribune de cette assemblée. Lorsque j'y ai parlé, il y a quatre ans, à l'occasion du quarantième anniversaire des Nations Unies, le message que d'autres et moi-même avions donné avait été d'encourager l'Organisation à jouer le grand rôle qui lui revenait.

Parmi tous les défis auxquels la communauté mondiale a dû faire face depuis quatre ans, il y en a un qui est ressorti plus clairement que tout autre tant par son urgence que par son importance. Je veux parler de la menace qui pèse sur notre environnement mondial. Je voudrais saisir cette occasion de m'adresser à l'Assemblée générale pour parler de ce sujet uniquement.

Au cours de son voyage historique dans les mers du Sud à bord du Beagle, Charles Darwin est, un matin de novembre 1835, descendu à terre à l'ouest de Tahiti. Après avoir pris son petit déjeuner, il est monté sur une colline à la recherche d'un point élevé d'où observer le Pacifique environnant. Le spectacle lui est apparu comme un tableau : un ciel bleu, un lagon bleu et des vagues qui se brisaient sur les récifs de corail. C'est en le regardant du haut de cette colline qu'il a commencé à formuler sa théorie sur l'évolution du corail. Cent cinquante-quatre ans après la visite de Darwin à Tahiti, nous n'avons pas appris beaucoup plus que ce qu'il a découvert alors.

Et si Charles Darwin avait pu, non seulement escalader une colline mais s'envoler vers les cieux dans une des navettes spatiales? Qu'aurait-il appris, en observant notre planète de cette altitude, de la vue lunaire qu'il avait de cette anomalie étrange et merveilleuse dans notre système solaire qu'est la Terre? Certes, nous avons beaucoup appris sur notre environnement en le regardant de l'espace, mais rien n'a eu sur nous un effet plus profond que les deux faits suivants.

Premièrement, comme l'a dit le savant britannique, Fred Hoyle, bien avant que les voyages spatiaux ne soient une réalité, "Une fois que nous aurons une photo de la Terre prise de l'extérieur… une nouvelle idée plus puissante qu'aucune autre dans l'histoire sera lancée." Cette idée si puissante est la reconnaissance de notre héritage commun sur cette planète. Nous savons maintenant plus que jamais auparavant que nous portons des fardeaux communs, que nous avons des problèmes communs et que nous devons y faire face par une action commune.

Deuxièmement, tandis que nous voyageons à travers l'espace, que nous frôlons une planète morte après l'autre, nous nous retournons vers notre terre et y voyons une infime tache de vie dans un vide infini. C'est la vie même, incomparablement précieuse, qui nous distingue des autres planètes. C'est la vie elle-même - la vie humaine, les innombrables espèces de notre planète - que nous détruisons gratuitement. C'est pour la sauvegarde de la vie elle-même que nous devons maintenant lutter.

Depuis 40 ans, la tâche principale des Nations Unies a été de ramener la paix là où il y avait la guerre, le réconfort là où était la détresse, la vie là où était la mort. La lutte n'a pas toujours été couronnée de succès. Il y a eu des années d'échec. Mais les récents événements ont apporté la promesse d'une aube nouvelle, un nouvel espoir. Les relations entre les nations occidentales et l'Union soviétique et ses alliés, longtemps gelées par la méfiance et l'hostilité, ont commencé à se détendre.

En Europe, cette année, la liberté s'est mise en marche.

En Afrique australe - en Namibie et en Angola -, les Nations Unies ont réussi à faire entrevoir de meilleures perspectives de mettre fin à la guerre et un début de prospérité.

En Asie du Sud-Est, également, nous osons espérer que la paix sera restaurée après des décennies de combats.Tandis que les dangers politiques classiques - la menace de l'anéantissement mondial, les guerres régionales - semblent diminuer, nous avons tous récemment pris conscience d'un autre danger insidieux qui est, à sa façon, tout aussi menaçant que les périls plus familiers dont la diplomatie internationale s'occupe depuis des siècles. C'est la perspective d'endommager de façon irréversible l'atmosphère, les océans, la Terre elle-même.

Sans doute des changements majeurs se sont-ils produits dans le climat et l'environnement de la Terre au cours de siècles antérieurs, alors que la population mondiale n'était qu'une fraction de ce qu'elle est actuellement. Les causes en sont attribuables à la nature elle-même: changements dans l'orbite terrestre; changements dans la quantité de rayonnements émis par le soleil; effets du plancton dans l'océan; processus volcaniques. Nous pouvons observer tous ces changements, et même en prévoir quelques-uns. Mais nous n'avons pas le pouvoir de les empêcher ou de les maîtriser.

Ce que nous faisons maintenant au monde - en dégradant la surface des terres, en polluant les eaux et en ajoutant à l'air à un rythme sans précédent des gaz créant un effet de serre - est tout à fait nouveau dans l'expérience de la Terre. C'est l'homme et ses activités qui modifient l'environnement de notre planète de façons nuisibles et dangereuses.

Nous pouvons trouver des exemples dans le passé. Nous pouvons même conclure que c'est l'engorgement de l'Euphrate qui a fait fuir l'homme du paradis terrestre. Nous avons également l'exemple de la tragédie de l'île de Pâques, où des gens venus de la mer ont trouvé une forêt vierge. Peu à peu la population a atteint plus de 9 000 âmes, et l'environnement a fini par être détruit au fur et à mesure que les habitants devaient abattre les arbres. Ils se sont alors battus pour les maigres ressources qui restaient, et la population est vite tombée à quelques centaines de personnes qui n'avaient même pas assez de bois pour construire les bateaux sur lesquels ils auraient pu s'enfuir.

La différence maintenant réside dans l'importance des dommages que nous causons.

Nous constatons une large augmentation de la quantité de gaz carbonique dans l'atmosphère. Cette augmentation annuelle est de l'ordre de 3 milliards de tonnes et la moitié du carbone émis depuis la révolution industrielle se trouve toujours dans l'atmosphère.

En même temps, nous constatons la destruction, à un rythme accéléré, des forêts tropicales qui sont les seules capables d'éliminer le gaz carbonique de l'atmosphère. Chaque année, une superficie de forêt égale à la surface entière du Royaume-Uni est détruite. Si nous continuons à ce rythme, d'ici à l'an 2000 nous aurons éliminé 65 des forêts dans les zones tropicales humides. Les conséquences de cette déforestation deviennent de plus en plus manifestes quand on sait que les forêts tropicales absorbent 10 fois plus de carbone que les forêts des zones tempérées.

Nous savons également que des dommages considérables sont causés à la couche d'ozone par la production de halons et de chlorofluoroalcanes (CFC). Mais du moins avons-nous reconnu que la réduction et, en fin de compte, l'arrêt des émissions de CFC sont des moyens propres à éliminer le risque d'accumulation de gaz qui cause l'effet de serre. Il est vrai que personne ne serait ici s'il n'y avait cet effet de serre. Il nous donne l'atmosphère humide qui soutient la vie sur la Terre. Nous avons besoin de l'effet de serre, mais dans des proportions adéquates.

Par-dessus tout, notre environnement est menacé par le nombre effarant de gens qui, à leur tour, s'entourent de plantes et d'animaux. Quand je suis née, la population mondiale se chiffrait à environ 2 milliards. Mon petit-fils va grandir dans un monde où elle dépasse 6 milliards.

En termes percutants, la principale menace à notre environnement est, de plus en plus, la population et ses activités: les terres qu'elle cultive toujours plus intensivement; les forêts qu'elle abat ou qu'elle brûle; les flancs de montagnes qu'elle dénude; les combustibles fossiles qu'elle brûle; les fleuves et les mers qu'elle pollue.

Cela veut dire que, dorénavant, les changements risquent d'être plus fondamentaux et plus répandus que jusqu'à présent. La mer autour de nous change; l'atmosphère au-dessus de nous change, et cela modifie le climat mondial, ce qui pourrait changer de fond en comble notre mode de vie. Cette perspective est une nouvelle composante dans les affaires humaines. Ses incidences se comparent à celles de la découverte de la fission atomique. Au vrai, ses conséquences pourraient être plus extraordinaires encore.

Nous ne cessons d'apprendre du nouveau sur ces changements de notre environnement. Les scientifiques du Polar Institute de Cambridge et de la British Antarctic Survey sont à la fine pointe de la recherche et dans l'Arctique et dans l'Antarctique, et nous mettent en garde contre les dangers plus graves encore qui nous menacent. Je vais citer un passage d'une lettre que j'ai reçue il y a deux semaines d'un savant britannique à bord d'un navire dans l'océan Antarctique:

"Dans les régions polaires, nous voyons ce qui pourrait être les premiers indices de changements climatiques provoqués par l'homme. Les données que nous recevons de la baie de Halley et des instruments de bord du navire sur lequel je me trouve montrent que nous entrons dans une ère d'appauvrissement de la couche d'ozone, pire peut-être que tous les autres, qui annule complètement la remontée constatée en 1988. Les données les plus basses enregistrées à bord n'atteignaient en septembre que 150 unités Dobson pour un contenu d'ozone total, par rapport à 300 pour la même saison dans une année normale."

Bien sûr, c'est un appauvrissement extrêmement grave.

Ce savant fait état aussi d'un amincissement sensible de la glace marine et écrit que, dans l'Antarctique,

"Nos données confirment que la glace de première année, qui forme le gros de la nappe glaciale marine, est extraordinairement mince et ne pourrait probablement subir un réchauffement atmosphérique marqué sans fondre. Cette glace marine", poursuit-il, "sépare l'océan de l'atmosphère sur une superficie de plus de 30 millions de kilomètres carrés. Elle réfléchit la plupart des radiations solaires qui la frappent, ce qui contribue à rafraîchir la surface de la Terre. Si cette superficie était réduite, le réchauffement de la Terre serait accéléré par l'absorption supplémentaire de radiations par l'océan.

La leçon de ces processus polaires", poursuit-il, "c'est que les changements écologiques et climatiques provoqués par l'homme risquent d'atteindre une phase de croisière ou de dérapage… , et peuvent être irréversibles."

Voilà les observations de l'un des savants qui effectuent des recherches à ce sujet à bord d'un bateau.

Ce sont des observations qui donnent à réfléchir et qui ont amené mon correspondant à avancer l'idée intéressante d'une Veille polaire mondiale, parmi d'autres observations du système climatique mondial qui nous permettront de comprendre.

Nous avons également de nouvelles preuves scientifiques venant d'un domaine tout à fait différent : les forêts tropicales. Comme elles peuvent évaporer des quantités considérables de vapeur d'eau et de gaz et de particules qui contribuent à la formation des nuages, les forêts permettent de rafraîchir leurs propres régions et de les maintenir humides en formant une sorte de pare-soleil de nuages blancs qui réfléchissent la lumière et en provoquant la pluie qui les nourrit.

Une récente étude du Bureau britannique de la météorologie sur la forêt tropicale humide de l'Amazonie montre que la déforestation à grande échelle pourrait réduire le niveau des pluies et, partant, influer directement sur le climat. L'expérience passée nous montre que, s'il n'y a pas d'arbres, il n'y a pas de pluie, et, sans pluie, il n'y a pas d'arbres.

La preuve est là. Les dommages sont causés à l'heure actuelle. Que peut faire la communauté internationale pour y remédier?

Dans certains domaines, c'est avant tout aux nations ou aux groupes de nations qu'il incombe de prendre des mesures. Je songe, par exemple, à des mesures de lutte contre la pollution des rivières - et nombre d'entre nous ont pu constater que les poissons reviennent dans les rivières. Je songe à des mesures d'amélioration des méthodes agricoles - une bonne gestion qui rende au sol les éléments nutritifs nécessaires au lieu d'abattre et de raser les forêts, ce qui a endommagé et dégradé tant de terres dans certaines régions du monde. Et je songe à l'utilisation de l'énergie nucléaire qui, en dépit de l'attitude de ceux qu'on appelle les Verts, est la forme d'énergie la plus écologiquement sûre.

Mais le problème des changements climatiques mondiaux nous touche tous, et les mesures pour y remédier ne seront efficaces que si elles sont prises au niveau international.

Rien ne sert de se quereller pour savoir qui est responsable ou qui doit payer. Il y a des régions entières de notre planète qui pourraient connaître la sécheresse et la famine si les pluies et les moussons devaient changer du fait de la destruction des forêts et de l'accumulation des gaz qui provoquent l'effet de serre.

Nous devons regarder en avant, non en arrière. Nous ne saurons remédier à ces problèmes que grâce à un vaste effort international de coopération.

Avant d'agir, nous avons besoin de la meilleure analyse scientifique possible. Sinon, nous risquons d'aggraver la situation. Il faut que la science soit la lumière qui guidera nos pas dans la bonne direction.

Le Royaume-Uni a assumé la tâche de coordonner une telle évaluation dans le cadre du Groupe intergouvernemental de l'évolution du climat, évaluation qui sera à la disposition de tous au moment où la deuxième Conférence mondiale sur le climat se réunira l'an prochain. Mais cela ne nous mènera pas au-delà d'un certain point. Le rapport ne pourra nous dire où frapperont les cyclones, qui sera inondé, ni combien il y aura de périodes de sécheresse et quelle en sera la gravité. Nous devrons pourtant connaître les réponses à ces questions s'il faut que nous nous adaptions à l'évolution future du climat. Ceci signifie que nous devons étendre notre capacité d'établir des maquettes et de prévoir les changements climatiques. Nous pouvons essayer nos techniques et nos méthodes en voyant si elles auraient prévu avec succès les changements climatiques précédents pour lesquels nous avons des données historiques.

La Grande-Bretagne compte un certain nombre d'experts éminents dans ce domaine et je suis heureuse de pouvoir annoncer à l'Assemblée que le Royaume-Uni va créer un nouveau centre de prévision de l'évolution du climat, sous l'impulsion duquel nous nous efforcerons d'améliorer notre capacité de prévision. Le centre fournira également les installations électroniques perfectionnées dont les hommes de science ont besoin et il sera ouvert aux experts du monde entier, particulièrement en provenance des pays en développement, qui pourront venir au Royaume-Uni et contribuer à ce travail vital.

Cependant, ce n'est pas seulement la science mais aussi l'économie qui doit être bonne. Ceci signifie d'abord que nous devons avoir une croissance économique suivie afin de susciter les ressources indispensables pour défrayer la protection de l'environnement; mais ce doit être une croissance qui ne pille pas la planète aujourd'hui et laisse à nos enfants le soin de régler ses conséquences demain.Deuxièmement, nous devons lutter contre la tendance simpliste de blâmer l'industrie multinationale moderne pour les dommages subis par l'environnement. Loin d'être coupable, c'est à l'industrie que nous devons confier la tâche de chercher et de trouver des solutions. C'est l'industrie qui mettra au point des produits chimiques de remplacement sains pour les réfrigérateurs et la climatisation de l'air. C'est l'industrie qui inventera des matières plastiques biodégradables. C'est l'industrie qui trouvera les moyens de traiter les polluants et de rendre inoffensifs les déchets nucléaires, et de nombreuses sociétés ont déjà d'importants programmes de recherche à ce sujet. Les multinationales doivent planifier à long terme. Il n'y aura ni profit ni satisfaction pour qui que ce soit si la pollution continue de détruire notre planète.

Au fur et à mesure que la population prend conscience des exigences de l'environnement, elle se tourne de plus en plus vers des produits qui ne portent pas atteinte à l'ozone et d'autres qui sont écologiquement sains. Le marché même agit en tant que correcteur : les nouveaux produits se vendent et ceux qui ont provoqué des dommages écologiques disparaissent des marchés. En outre, en répandant largement ces nouveaux produits, l'industrie permettra aux pays en développement d'éviter beaucoup d'erreurs que nous, pays industrialisés de plus longue date, avons commises.

Nous ne devrions jamais oublier que les libres marchés sont un moyen qui sert une fin. Ils compromettraient leur objectif si, par leur production, ils endommageaient davantage la qualité de la vie par la pollution qu'ils n'augmentaient le bien-être par la production de biens et services.

C'est donc sur la base d'une science saine et d'uns économie, rationnelle que nous devons édifier le cadre solide d'une action internationale. Ce n'est pas de nouvelles institutions que nous avons besoin. Il faut plutôt que nous renforçons et améliorions celles qui existent déjà, notamment l'Organisation météorologique mondiale (OMM) le Programme des Nations Unies pour l'environnement (PNUE). Le Royaume-Uni a récemment plus que doublé sa contribution au PNUE. Nous prions instamment les autres pays, qui ne l'ont pas encore fait et qui sont en mesure de le faire, d'agir de même.

Les organes centraux des Nations Unies, tels que l'Assemblée générale, doivent également être saisis d'un problème qui touche pratiquement tous les aspects de leurs activités et qui les toucheront encore davantage à l'avenir. La tâche la plus urgente au niveau international est la négociation d'un cadre de convention de l'évolution du climat, qui doit être une sorte de guide de bonne conduite pour toutes les nations. Nous en avons heureusement un modèle dans les mesures déjà prises pour protéger la couche d'ozone. La Convention de Vienne de 1985 et le Protocole de Montréal de 1987 ont posé des jalons dans le droit international. Ils avaient pour but de prévenir plutôt que de guérir simplement un problème écologique global.

Je pense que nous devrions chercher à avoir une convention sur l'évolution globale du climat qui soit prête au moment où la Conférence mondiale sur l'environnement et le développement se réunira en 1992. Celle-ci sera l'une des conférences les plus importantes que les Nations Unies n’aient jamais tenues. J'espère que nous accepterons tous la responsabilité de respecter ce calendrier. La Conférence de 1992 fait déjà, en effet, l'objet de débats entre de nombreux pays dans beaucoup d'endroits. J'attire particulièrement l'attention sur les débats importants que les membres du Commonwealth ont eus sous la présidence du Premier Ministre de la Malaisie à notre récente réunion des chefs de gouvernement du Commonwealth à Kuala Lumpur.

Toutefois, un cadre de travail ne suffit pas. Il faudra y inscrire des engagements spécifiques, c'est-à-dire, en langage diplomatique, des protocoles, sur les différents aspects de l'évolution du climat. Ces protocoles doivent être contraignants et il faut qu'il y ait des régimes efficaces pour les superviser et en suivre l'application. S'il en était autrement, ces nations qui acceptent et respectent les accords environnementaux, augmentant ainsi leurs frais industriels, sortiraient perdantes au plan de la concurrence avec ceux qui n'adhèrent pas à ces accords. La négociation de certains de ces protocoles sera sans aucun doute difficile, et aucun problème ne suscitera plus de difficultés que la nécessité de contrôler les émissions de gaz carbonique, principales coupables, à l'exception des vapeurs d'eau, de l'effet de serre. Nous ne pouvons rester à ne rien faire, mais les mesures que nous prenons doivent se fonder sur une analyse scientifique appropriée de l'effet des différents gaz et de la manière dont on peut les réduire. Dans le passé, on a eu tendance à résoudre un problème, quitte à en aggraver d'autres. Le Royaume-Uni propose donc que nous prolongions le rôle du Groupe intergouvernemental de l'évolution du climat après la présentation de son rapport l'an prochain, de façon à ce qu'il puisse servir de base scientifique autorisée à la négociation de ce protocole et d'autres accords. Nous pourrons alors fixer des objectifs en vue de réduire les gaz à effet de serre et décider de la mesure dans laquelle chaque pays devrait contribuer à cette tâche. Nous pensons qu'il est important de faire cela de manière à permettre à toutes nos économies de continuer de grandir et se développer.

Le défi que posent à nos négociateurs des questions de ce genre est aussi grand que celui de l'élaboration de n'importe quel traité de désarmement. Le Groupe intergouvernemental doit poursuivre sa tâche, et nous ne devons pas nous laisser détourner du but par des arguments qui nous divisent et sont stériles. Nous n'en avons pas le temps.

Avant de laisser ce domaine où il est nécessaire d'agir au plan international, je voudrais lancer un appel en faveur d'une autre convention globale, d'une convention qui préserverait la variété infinie des espèces, végétales et animales, qui vivent sur notre planète. Les forêts tropicales contiennent la moitié des espèces du monde, de sorte que leur disparition serait une double perte. Il est étonnant mais vrai que notre civilisation, dont l'imagination a atteint les frontières de l'univers, ne sache pas, à la près, combien il y a d'espèces sur la terre. Ce que nous savons, c'est que nous les perdons à un rythme alarmant, de trois à 50 chaque jour selon certaines estimations, et que ce sont des espèces qui pourraient sans doute nous aider à faire reculer les frontières de la science médicale. Nous devrions agir ensemble pour préserver ce précieux patrimoine.

Toutes les nations devront apporter leur propre contribution à l'effort global. C'est pourquoi je tiens à dire à l'Assemblée comment la Grande-Bretagne entend y contribuer, soit en améliorant sa propre performance nationale dans le domaine de la protection de l'environnement, soit en fournissant une aide aux autres, et je vais le faire en quatre points.

Premièrement, nous allons installer au cours des mois à venir un système global de limitation de la pollution destiné à traiter toutes les sortes de pollution industrielle, que ce soit dans l'air, sous l'eau ou sur terre. Nous encourageons l'industrie britannique à mettre au point de nouvelles techniques afin de nettoyer l'environnement et de minimiser la quantité de déchets qu'elle produit, et nous avons l'intention de recycler 50 de nos déchets domestiques d'ici à la fin du siècle.

Deuxièmement, nous allons décider, l'année prochaine, de notre ordre du jour écologique pour les 10 ans à venir. Il portera sur l'énergie, les transports, l'agriculture, l'industrie autant de domaines qui touchent à l'environnement.

En ce qui concerne l'énergie, nous nous sommes déjà fixés pour objectif un programme de 2 milliards de livres destiné à réduire les émissions de pluies acides provenant de nos centrales électriques. Nous allons étudier de plus près le rôle joué par les sources de combustibles non fossiles, y compris nucléaires, dans la production d'énergie. Notre législation la plus récente exige que les sociétés qui fournissent de l'électricité encouragent l'efficience énergétique.

Pour ce qui est des transports, nous allons rechercher les moyens de renforcer les contrôles sur les émissions provenant des véhicules et de mettre au point des moteurs plus économiques qui est une bien meilleure solution à long terme que les pots catalytiques, s'agissant des émissions de gaz carbonique et de l'effet de serre. Nous avons déjà réduit les taxes sur l'essence à faible teneur en plomb afin d'encourager son utilisation. C'est un exemple de la façon dont on peut stimuler le marché pour encourager des pratiques écologiques saines. Nous verrons si nous pouvons appliquer ces mêmes méthodes dans d'autres domaines.

En ce qui concerne l'agriculture, nous savons que las fermiers ne doivent pas seulement produire des aliments - ce dont ils s'acquittent très efficacement - mais qu'ils doivent aussi préserver la beauté du patrimoine précieux que constituent nos campagnes. Nous les incitons donc à choisir des méthodes moins intensives et à préserver l'écologie des habitants naturels. Nous plantons de nouveaux arbres et de nouvelles forêts. C'est ainsi que ces 10 dernières années ont été marquées en Grande-Bretagne par une augmentation de 50 des plantations d'arbres. Nous avons aussi pour objectif de réduire l'emploi d'engrais chimiques dans les sols et de prendre des mesures pour régler les problèmes complexes causés par la présence de nitrate dans l'eau. Tout cela s'inscrit dans le cadre de notre programme sur 10 ans qui ira jusqu'à la fin de ce siècle.

Troisièmement, nous avons augmenté les crédits alloués à la recherche sur les problèmes écologiques mondiaux. J'ai déjà parlé du centre sur les changements climatiques que nous allons créer. En outre, nous apportons notre soutien à nos propres scientifiques, et en particulier à l'Etude britannique sur l'Antarctique qui contribue si utilement aux expériences sur la circulation mondiale dans les océans, ainsi qu'aux expéditions de notre navire de recherche, baptisé à juste titre le "Charles Darwin". Nous avons également fourni davantage de crédits aux programmes de surveillance par satellite du climat et de l'environnement de l'Agence spatiale européenne.

Quatrièmement, nous aidons des pays plus pauvres à faire face à leurs problèmes écologiques par le biais de notre programme d'aide. Nous allons apporter une aide toute particulière à la gestion et à la préservation des forêts tropicales. Nous aidons déjà 20 pays et avons récemment signé des accords avec l'Inde et le Brésil. Je peux annoncer aujourd'hui que nous nous engageons dans les trois années à venir à dégager encore une somme de 100 millions de livres bilatéralement pour les activités liées aux forêts tropicales, principalement dans le cadre du plan d'action pour les forêts tropicales.

Telles sont les quatre lignes directrices que s'est fixée la Grande-Bretagne.

Le défi écologique auquel doit faire face le monde entier appelle de sa part une réaction équivalente. Tous les pays seront concernés et aucun ne peut y échapper. Nous devons travailler par l'intermédiaire de cette organisation et de ses institutions pour aboutir à des accords à l'échelon mondial sur les moyens de prévenir les conséquences de changements climatiques, de l'appauvrissement de la couche d'ozone et de la disparition d'espèces rares. Nous avons besoin d'un programme d'action réaliste et d'un calendrier non moins réaliste. Tous les pays doivent y contribuer, et les pays industrialisés doivent aider davantage ceux qui ne le sont pas. La tâche qui nous attend sera longue et ardue. Nous devons nous y atteler avec l'espoir que nous réussirons et sans redouter l'échec.

J'ai commencé mon intervention en évoquant Charles Darwin et ses travaux sur la théorie de l'évolution et l'origine des espèces. Ses expéditions furent parmi les points forts de la découverte scientifique. Elles ont été entreprises à un moment ou les hommes et les femmes étaient de plus en plus convaincus qu'ils pouvaient non seulement comprendre la nature, mais qu'ils pouvaient aussi la maîtriser. Aujourd'hui, nous avons appris à être plus humbles et respectueux de l'équilibre de la nature. Mais il est une autre conviction héritée de l'époque de Darwin qui devrait nous aider à aller de l'avant: la foi dans la raison et la méthode scientifique. La raison est un don particulier de l'humanité. Elle nous permet de comprendre la structure du noyau, elle nous donne les moyens d'explorer les cieux, elle nous aide à vaincre la maladie. Il faut maintenant utiliser notre raison pour trouver les moyens de vivre en harmonie avec la nature et non pas de la dominer.

À la fin d'un livre qui a aidé bien des jeunes à comprendre qu'ils étaient les gardiens de notre planète, son auteur américain cite l'un de nos plus grands poèmes anglais, "Paradis perdu" de Milton. Lorsqu'Adam dans ce poème s'interroge sur les mouvements des cieux, l'archange Raphaël refuse de répondre.

"Qu'il parle", dit-il,
"Le Créateur dans sa très grande magnificence, qui a fait œuvre
Si grandiose, et son royaume est si étendu,
Que l'homme sait qu'il n'y vit pas seul,
Un palais trop grand pour lui,
Dont il occupe une si petite partie, et le reste
Réservé à des usages que le Seigneur connaît bien mieux que personne."

Nous avons besoin de notre raison pour comprendre aujourd'hui que nous ne sommes pas, que nous ne devons pas essayer d'être les maîtres de l'univers. Nous ne sommes pas les seigneurs, nous sommes les créatures du Seigneur, les dépositaires de cette planète, chargés aujourd'hui de préserver la vie elle-même, de préserver la vie dans tout ce qu'elle a de mystérieux et de merveilleux.Puissions-nous tous être égaux devant cette tâche. »

 

Discours adressé à la 44e session de l’Assemblée Générale des Nations Unies, New York le 8 novembre 1989, pas Margaret Thatcher. Version Sténographique A/44/PV.48. Digitalisé la Dag Hammmarskjöld Library.

 

2

Anthony D. Barnosky et al., « Has The Earth Six Mass Exctinction already arrived ? », in Nature, 471, 51-57, 2011

3

Dennis Meadows, Donella Meadows, Jorgen Randers, Les limites à la croissance (dans un monde fini), Rue de l’échiquier, Paris, 2004.

4

William J. Ripple, et al., « The 2023 state of the climate: Entering Uncharted Territory », in Bioscience, Oxford University Press, 2023, pp.1-10