Ed Hawkins, « Globe 1850-2022 », Variations de la température globale de 1850 à 2022, University of Reading | showyourstripes.info | CC by 4.0
Ed Hawkins, « Globe 1850-2022 », Variations de la température globale de 1850 à 2022, University of Reading | showyourstripes.info | CC by 4.0

Dialogue de sourds

Lors de la COP28, l'équipe d'antipolis a imaginé un dialogue entre chercheur.euse.s et représentant.e.s du monde politique (en italique). L'occasion de revenir sur trente ans d'échecs climatiques. Les mots ont une portée, qui n’est pas la même selon la position occupée par le locuteur-trice, comme en témoigne cet échange, avec des conséquences vertigineuses. Une seule personne, souvent homme blanc, plutôt âgé et en position de pouvoir, est en mesure de mettre en échec le message que la communauté scientifique essaie, tant bien que mal, de transmettre depuis une trentaine d’années.
Ed Hawkins, « Globe 1850-2022 », Variations de la température globale de 1850 à 2022, University of Reading | showyourstripes.info | CC by 4.0
Ed Hawkins, « Globe 1850-2022 », Variations de la température globale de 1850 à 2022, University of Reading | showyourstripes.info | CC by 4.0

– La vie sur la planète Terre est menacée. Nous évoluons maintenant en territoire inexploré.1

– « Qui aurait pu prédire la crise climatique ? » 2

– Pendant des décennies, les scientifiques ont constamment mis en garde contre un avenir marqué sous le sceau de conditions climatiques extrêmes, en raison de l’augmentation des températures globales causée par le relâchement dans l’atmosphère de gaz à effet de serre nocifs liés aux activités humaines.

– « Nous ne pouvons pas débrancher le système énergétique d’aujourd’hui avant de construire celui de demain. Ce n’est tout simplement ni pratique, ni possible […]. Nous devons séparer les faits de la fiction, la réalité des fantasmes.» 3

– Malheureusement, le temps est écoulé. […] Notre crise climatique nous fait désormais entrer dans un monde inconnu, une situation dont personne n’a jamais été le témoin direct dans l’histoire de l’humanité. […] Il est de notre devoir moral à nous, scientifiques, et à nos institutions, d’alerter clairement l’humanité de toute potentielle menace existentielle. […] En 2023, nous avons été les témoins d’une série extraordinaire de records liés au climat à travers le monde. […] C’est le signe que nous poussons notre système planétaire vers une instabilité dangereuse.

– « Je ne crois pas au réchauffement climatique. » 4

– Nous nous aventurons dans une ère climatique inconnue. […] Sur la base de données chronologiques, 20 des 35 signes vitaux affichent désormais des valeurs records extrêmes. Ces données montrent que la poursuite du business as usual a tragiquement conduit à une pression sans précédent sur le système Terre, amenant nombre de variables climatiques à entrer dans un territoire inexploré.

– « Le concept de réchauffement climatique a été créé par et pour les chinois afin de rendre l’industrie américaine non compétitive. » 5

– Il est peu probable que la croissance économique, telle qu’elle est habituellement poursuivie, nous permette d’atteindre nos objectifs sociaux, climatiques et liés à biodiversité. Le défi fondamental réside dans la difficulté de dissocier la croissance économique de ses effets délétères sur l’environnement […], lesquels varient considérablement en fonction du niveau de vie.

– « On ne va pas s’attaquer au défi climatique en refusant de faire du commerce. » 6

– En 2019, les 10 % les plus riches étaient responsables de 48 % des émissions globales, alors que les 50 % les plus pauvres n’étaient responsables que de 12 % des émissions. Il nous faut donc changer notre économie et l’orienter vers un système qui favorise la satisfaction des besoins fondamentaux de toutes et tous, à la place de cette consommation excessive par les riches.

– « Le mode de vie américain n’est pas négociable. » 7

– « Je ne crois pas que le modèle Amish permette de régler les défis de l’écologie contemporaine. » 8

– « J’ai fait une dizaine de fois de l’héliski, toujours dans le Canton du Valais, avec grand plaisir. » 9

– Il semble que la reprise verte que bon nombre attendaient après la crise du COVID-19 a largement échoué à se concrétiser.

– « Toutes ces questions d’environnement, ça commence à bien faire. » 11

– Au lieu de cela, les émissions de carbone ont continué de monter en flèche.

– « J’adore l’odeur des émissions ! » 12

– Les combustibles fossiles restent dominants et la consommation annuelle de charbon atteint un niveau record de 161,5 exajoules en 2022. […] En plus de ses effets destructeurs sur les écosystèmes et la santé globale, le charbon représente 80 % du dioxyde de carbone ajouté à l’atmosphère depuis 1870, et à peu près 40 % des émissions actuelles.

– « C’est du charbon. Ne craignez rien ! N’ayez pas peur ! Ca va pas vous faire mal. » 13

– Les effets du réchauffement climatique se font toujours plus graves et des possibilités telles qu’un effondrement de la société mondiale sont envisageables et dangereusement sous-estimées.

– « J’ai accepté de prendre part à cet échange pour avoir une conversation d’adulte. En aucune façon je ne participe à une discussion alarmiste. Aucune science, aucun scénario ne dit qu’une sortie des énergies fossiles est ce qui nous permettra d’atteindre l’objectif des 1.5° degrés. » 14

– « Le climat ne doit pas être considéré comme une priorité supérieure aux autres. » 15

– Aux grands maux, les grands remèdes. Nous devons changer notre approche de l’urgence climatique et la faire passer d’une simple question d’environnement à une menace systémique, existentielle. Bien que dévastateur, le réchauffement climatique ne représente que l’un des aspects de la crise environnementale grandissante et interconnectée à laquelle nous sommes confronté.es.

– « L’écologie est une maladie de jeunesse. » 16

– Pour faire face à la surexploitation de notre planète, nous contestons l’idée dominante de croissance sans fin, tout comme la surconsommation des pays riches et personnes aisées, lesquelles ne sont ni durables, ni fondées.

– « Vous me parlez de pollution environnementale… Il suffit de faire caca un jour sur deux, ce sera mieux pour tout le monde. » 17

– « Aidez-moi s’il vous plaît. Montrez-moi la feuille de route d’une sortie progressive des énergies fossiles qui permette un développement socioéconomique. A moins que vous ne souhaitiez ramener la planète à la préhistoire ? » 18

– Nous plaidons pour une réduction de la surconsommation des ressources : réduire, réutiliser et recycler les déchets, au sein d’une économie circulaire. Nous appelons à une transformation de l’économie mondiale qui privilégie le bien-être humain et assure une meilleure redistribution des ressources.

– « Le mode de vie américain, c’est sacré. » 19

– « Nous n’allons pas nous excuser pour notre mode de vie, nous le défendrons sans relâche. » 20

– En tant que scientifiques, on nous demande avec toujours plus d’insistance de dire la vérité sur les crises que nous affrontons en utilisant des termes simples et directs. La vérité est que nous sommes choqué.es par la violence extrême des phénomènes météorologiques dont nous avons été les témoins en 2023. Et nous craignons le territoire inexploré dans lequel nous sommes entré.es. […] C’est le moment pour nous de faire une profonde différence pour toute forme de vie sur Terre.

 

 

1

La parole de la communauté scientifique est incarnée dans un appel paru en octobre 2023. Il a été choisi car deux de ses auteurs ont déjà publié une tribune du même cru en 2020, co-signée par plus de 15’000 scientifiques à travers le monde. : William J. Ripple et al., « The 2023 state of the climate: Entering Uncharted Territory », in Bioscience, Oxford University Press, 2023, pp. 1-10. Quant aux citations d’élu.e.s, elles ont été glanées dans l’histoire environnementale de ces quarante dernières années.

2

Emmanuel Macron, Président de la république (France), en exercice. Une question qu'il pose lors de ses voeux aux Français.aises, en janvier 2023.

3

Ahmed Al-Jaber, Président de la COP28, Ministre de l'industrie, PDG de la Abu Dhabi Oil Company, appelant les gouvernements à renoncer à leurs "fantasmes", lors de l'ouverture de la Semaine du climat du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord

4

Christophe Blocher, lors d’une longue interview accordée à la chaîne suisse alémanique « Tele Züri » dans l’émission « TalkTäglich ». M. Blocher est un homme d’affaire (milliardaire), ancien conseiller fédéral suisse, membre du parti UDC (libéral-réactionnaire). Mai 2023.

5

Donald Trump, hommes d'affaires, pas encore président, mais avait déjà le twitt facile, le 6 novembre 2012. Il sera élu président des Etats-Unis quatre ans plus tard.

6

Cécilia Malmström, ancienne Commissaire européenne au commerce, répondant aux inquiétudes en matière d’écologie suscitées par la signature de l’Accord de libre-échange entre l’Union européenne et les pays du Mercosur. Et donnant l’ordre des priorités. Juin 2019.

7

Georges Bush (père). Voilà ce que Bush père, alors président des Etats-Unis, déclarait à son arrivée au Sommet de la Terre de Rio, en 1992. Le ton des négociations était donné. Les Etats-Unis avaient gagné la Guerre froide. La confiance était à son maximum. Juin 1992.

8

Emmanuel Macron, président de la république en exercice, réagissant avec dédain aux mouvements d’opposition à l’introduction de la 5G. Septembre 2020.

9

Christophe Darbellay, Conseiller d’Etat valaisan (Suisse), membre du parti Le Centre, interviewé dans le cadre d’un reportage de la Radio télévision suisse sur les conséquences écologiques de l’héliski (sport réservé à une certaine classe de la population). Mars 2023.

10

Nicolas Sarkozy, lorsqu’il était président de la république rappelle la prééminence de la compétitivité sur l’environnement lors d’une visite au salon de l’agriculture. Comme le résume un journaliste dans une archive de l’INA : « réduire les contraintes environnementales pour permettre aux agriculteurs d’être plus compétitifs ». On est en 2010.

11

Sarah Palin, membre du parti républicain, ancien gouverneur de l’Etat d’Alska, candidate à la vice-présidences des Etats-Unis d’Amérique en 2008, répondant à un journaliste de FoxNews lors d’un rassemblement de bikers à Washington durant le Memorial Day (jour de célébration des soldats morts au combat). 2011.

12

Scott Morrison est ministre des finances australien depuis deux ans. On est en 2017. Il prend la parole devant la Chambre des représentant-es et agite un gros morceau de charbon pour en vanter les mérites économiques et, au passage, ridiculiser les enjeux énergétiques et climatiques. Il sera élu premier ministre australien l’année suivante.

13

Ahmed Al-Jaber, PDG de la Abu Dhabi Oil Company, Président de la COP28. C’est sur ce ton, irrité que M. Al-Jaber s’adresse à Mary Robinson, ancienne envoyée spéciale pour le climat des Nations Unies, lors d’un event en ligne, le 21 novembre 2023 ; soit neuf jours avant l’ouverture de la COP28 dont il sera le président…

14

Philippe Nantermod, Vice-président du PLR, lors de son refus de prendre part à la rencontre organisée à Bern entre scientifiques d’un côté et parlementaires de l’autre. L’objectif de cette rencontre était d’aborder les enjeux du réchauffement climatique. Une partie du camps bourgeois refusera d’y participer. M. Nantermod fera cette observation : « Je ne suis pas d’accord que ce soit un groupuscule qui décide de l’ordre des priorités des politiciens élus. » Et d’ajouter : « Le climat ne doit pas être considéré comme une priorité supérieure aux autres. » 2 mai 2022.

15

François Mitterand, président de la république (France), affrontant la résistance des habitant-es de la ville de Plogoff, opposé-es à la construction d’une nouvelle centrale nucléaire dans leur région. Des propos tenus à huis-clos par l’ancien président socialiste, et rapportés dans le cadre du documentaire "PLOGOFF, les révoltés du nucléaire".

16

Jair Bolsonaro, alors Président de la république fédérative du Brésil, répondant à un journaliste lui demandant comment concilier croissance et dégâts environnementaux. Août 2019.

17

Ahmed Al-Jaber, PDG de la Abu Dhabi Oil Company, Président de la COP28. Lors du même cité plus haut, avec Mary Robinson, ancienne envoyée spéciale pour le climat des Nations Unies, M. Al-Jaber fait cette observation caricaturale. Pour rappel, on est le 21 novembre 2023, soit neuf jours avant l’ouverture de la COP28 dont il sera le président.

18

Georges Bush fils, lorsqu'il président les Etats-Unis d'Amérique, presque dix ans après le Sommet de la Terre de 1992 lors duquel son père avait affirmé : "Le mode de vie américain n'est pas négociable", le fils avancera le même argument, allant un cran plus loin, pour jusitifier la non-ratification du Protocole de Kyoto pes les Etats-Unis. 2001.

19

Barack Obama, lors de son discours d'investiture à la présidence des Etats-Unis d'Amérique, témoigne d'un rapport ambiguë à l'écologie. Juste après avoir affirmé que son pays lutterait contre le réchauffement climatique, le président nuance son propos par cette remarque. Janvier 2009.